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MICHEL, Jean. Le Knowledge Management, entre effet mode et (re)invention de la roue…
Quelques réflexions critiques pour mieux comprendre la nécessité et les caractéristiques d'une gestion collective et pérenne des connaissances dans l'entreprise
in Documentaliste - Sciences de l'Information, 2001, vol.38, n°3-4, pp. 176-186
Disponible sur World Wide Web : http://wwwparis.enpc.fr/~michel-j/publi/JM337.html#1
(consulté le 25/01/2003)
Sujet : " En vous appuyant sur le texte de Jean Michel, vous discuterez ce qui, dans le knowledge management,
vous semble transposable au domaine de la formation et de l'enseignement. "
Consigne Associée : Trouver un plan
Vous pouvez, si vous le désirez, proposer un texte complet.
Mais dans ce cas, il sera plus intéressant pour tout le monde de disposer tout de même de votre raisonnement sur le plan le plus adapté.
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Plan 1 - Un problème de définition : de quoi parle-t-on ? 2 - Un effet de mode mais une préoccupation ancienne et permanente 3 - Information, documentation, connaissance vers l'Infopolis 4 - Caractérisation opérationnelle du KM 5 - Le KM : échecs, difficultés, blocages et questions sans réponses 1 - Un problème de définition : de quoi parle-t-on ?
Le Knowledge Management ou KM est défini comme "un système d'initiatives, méthodes et outils destinés à créer un flux optimal de connaissances pour le succès de l'entreprise et de ses clients" (Eunika Mercier-Laurent). Cette définition très large, englobante, a le mérite de faire ressortir la nécessité d'un certaine médiation professionnelle et la finalité de l'intervention KM : assurer le succès de l'entreprise par une bonne dynamisation des connaissances dont elle dispose. Mais pour autant est-on clair sur ce que représente concrètement la gestion des connaissances ?
D'abord tentons de traduire KM en français, ce qui comme souvent quand on veut passer de l'anglais au français n'est pas évident : - au premier degré : gestion de la connaissance, gestion des connaissances, management de la connaissance, management des connaissances ;
Plusieurs caractéristiques ou mots clés peuvent aider à cerner le champ de pratiques du KM : - une démarche managériale et/ou gestionnaire (volonté, dispositif, mesures, ) opposée à l'idée de laisser les choses se faire au hasard ;
Mais le champ opératoire est difficile à cerner du fait de la multiplicité des perspectives à partir desquelles on s'intéresse au KM (en gros, multiplicité des "chapelles" qui veulent s'approprier ce territoire). Ainsi le KM peut être vu : - à travers les outils, la technologie et par les informaticiens et autres techno-spécialistes : traitement avancé de la gestion de l'information (extraction automatique du sens, ), "tubulures" de partage de l'information dans l'entreprise (réseaux, Intranet, groupware, ) ;
Au final, il faut bien constater que le KM intéresse et préoccupe beaucoup de gens et que son approche est forcément multiple, pluri- ou multi-disciplinaire. Il est donc essentiel d'éviter l'enfermement du KM dans une description trop instrumentale de celui-ci, ce qui conduirait alors à l'émergence de nouvelles sectes et donc à la marginalisation inéluctable des pratiques de Knowledge Management. 2 - Un effet de mode mais une préoccupation ancienne et permanente
L'effet mode est certain comme il l'a été pour l'IE (intelligence économique) un peu auparavant (mais là, le soufflé semble retomber). On a jamais autant parlé de KM qu'au cours des trois à cinq dernières années (même si les pratiques les plus formalisées et labellisées KM remontent déjà à une dizaine d'années &endash; cf. EDF -) : - multiplication des conférences, rencontres, séminaires, dans tous les milieux (informaticiens, documentalistes, managers, ingénieurs, formateurs, ) : plus de 10 manifestations aisément identifiables sur Paris en un an sans parler de ce qui se fait aussi ailleurs en France et à l'étranger ;
L'accent mis aujourd'hui sur le KM (et l'effet mode qui en résulte) s'explique par plusieurs raisons : - globalisation et mondialisation qui accélèrent et bousculent les pratiques des entreprises, d'où la nécessité de bien s'ancrer sur du solide, à savoir le capital de connaissances dont on dispose ;
Mais l'effet mode KM peut être l'arbre qui cache une forêt beaucoup plus importante. La gestion collective, partagée, pérenne de la connaissance a toujours été une préoccupation forte des groupes humains, quels qu'ils soient. Sans remonter à l'antiquité (cf. Socrate, Pythagore, Thalès, ), on peut mentionner à titre d'illustrations de nombreuses initiatives majeures du champ des sciences et techniques de l'ingénieur qui montrent que le KM n'est pas une mode mais une impérieuse nécessité et un permanent souci : - l'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert est à l''évidence une démarche forte de gestion collective des savoirs et savoir-faire au niveau d'un pays entier ;
Avec encore un peu plus de hauteur de vue, il est possible de débusquer des approches de partage-gestion de connaissances dans des pratiques bien connues telles que: - le compagnonnage
En somme, rien de bien nouveau sous le soleil. La mode actuelle du KM pourrait au fond être révélatrice de malaises certains au sein des entreprises face au développement non maîtrisé des pratiques informationnelles : - échec patent (crise aujourd'hui évidente) des approches modernes de gestion de l'information fondées sur l'imposition "top-down" de plates-formes devenant vite de grandes usines à gaz informationnelles, mais on le sait aujourd'hui que "trop d'information tue l'information" - avec en outre des Intranets ou sites Internet qui ne sont plus ou mal alimentés (cimetières informationnels) - ; 3 - Information, documentation, connaissance vers l'Infopolis
Le KM se définit assez souvent comme un ensemble de pratiques visant à accélérer, dynamiser le partage des connaissances dans une organisation . Mais avant de cerner ces pratiques, il paraît souhaitable de préciser certains termes tels que : information, documentation, connaissance.
L'information ça s'échange L'information n'existe pas ou plus exactement elle n'est que le regard de l'homme porté sur le monde à un moment donné avec ses instruments de vision. C'est une perception subjective d'une réalité (y compris dans les domaines scientifiques les plus durs). L'information est surtout une probabilité de différence de vision et donc se fonde sur la nécessité de l'altérité (la confrontation à l'autre). Il est intéressant de souligner qu'elle est pure immatérialité (sens, regard, contenu, ), qu'elle n'est ni saisissable (physiquement et juridiquement parlant), qu'elle est subjectivité sans coût ou pesanteur mais par contre est riche de promesses. Elle n'a d'intérêt que dans son partage (s'exposer au regard de l'autre pour changer). Le principe essentiel est donc que l'information s'échange sinon elle n'a pas de sens (il ne sert à rien de la stocker pour la stocker ou de se la garder dans sa tête sans en exprimer la teneur à d'autres). Mais pour être échangée, partagée, l'information a besoin d'être fixée sur un support (document) qui va devenir vecteur de communication des contenus concernés.
La documentation (le document) ça se gère C'est la trace matérielle, objective (objectivée) d'une pensée ou action (information), support tangible, localisable, d'une information (article de revue, livre, segment d'espace Web, message électronique, stèle, ). C'est une matérialité (document, support, contenant) avec un principe de localisation (ISBN, rayonnage, URL, ). La documentation est objectivité coûteuse qui nécessite travail et mobilisation de ressources, c'est une médiation nécessaire qui conduit à retenir le principe la documentation, ça se gère (objectifs de rationalisation, de réduction de coût, ).
La connaissance ça se construit Un pas de plus est franchi avec la connaissance, pensée originale de l'homme, savoir structuré, ensemble d'opérations mentales de modélisation permettant aux hommes de comprendre le monde et d'agir de façon plus sûre sur la base des modèles prédictifs ainsi disponibles. A noter que l'information (regard, perception) n'est pas la connaissance (loi, modèle) et qu'il est abusif de parler de gestion de la connaissance en réduisant celle-ci au développement de bases de données (informations documentées). Selon les thèses constructivistes, la connaissance se construit en permanence, c'est une incessante élaboration (à l'image de ce qu'est le développement de l'homme qui n'est pas la simple accumulation infinie de ses cellules). Mais pour se structurer, la connaissance a besoin de s'exposer aux flux d'informations qui eux mêmes ont besoin d'être documentés. A partir de là, la nouvelle connaissance (loi, modèle) peut être "recyclée", tracée sur un document échangeable, devenir elle-même information et ainsi le triangle I-D-C devient dynamique et fertile (d'où la nécessité d'une approche cohérente, complète mais complexe de la gestion des ressources IDC, ce qui rejoint ce qu'Emmanuel Métais et Bertrand Moingeon appelle le "learning mix").
Pourquoi se préoccupe-t-on aujourd'hui d'améliorer les pratiques ancestrales de KM et plus largement d'améliorer la gestion des ressources IDC ? Plusieurs raisons évidentes peuvent être invoquées : - le souci de cohérence et d'intégration, du fait de la convergence des outils et technologies (compatibilité des solutions techniques, modularité, progressivité, flexibilité, ) ;
Penser l'Infopolis A partir de là, il est intéressant de replacer le KM dans une perspective large et moderne de gestion des ressources IDC en s'appuyant sur une analogie avec la gestion de la ville et de son développement, conformément à un modèle baptisé INFOPOLIS. L'ensemble des systèmes, dispositifs, acteurs, processus et fonctions relatifs à l'IDC constitue en effet une ville ou INFOPOLIS dans laquelle le système IDC global est pensé, planifié, géré, vécu comme une ville en développement organique permanent. L'Infopolis se détermine à travers un territoire avec ses limites et sa structuration, une identité et une culture propres, des acteurs (décideurs, citoyens, experts, médiateurs divers), des infrastructures (équipements, réseaux, postes de travail logiciels, ), un centre (carrefour, portail, Intranet, ), des quartiers et des zones d'activité (les informations juridiques, les informations culturelles, ), des signalétiques et des dispositifs de repérage (se retrouver dans l'Infopolis), des règles de fonctionnement et de vie (qui alimentent quoi, ?), des besoins fonctionnels de diverses natures, des productions, des usages, des pratiques, des vécus. L'Infopolis suppose aussi l'expression collective de visions crédibles d'un futur acceptable et donc la définition et la mise en uvre d'un schéma cohérent de développement (l'Infostructure).
Il est en effet absolument nécessaire de se doter d'une Infostructure pour agir de façon cohérente et efficace(notion d'urbanisme informationnel), cette Infostructure se définissant comme une démarche de management systémique de l'IDC qui vise à mettre en interaction dynamique: - les thématiques informationnelles à privilégier ; Insistons sur le fait que cette Infostructure n'est pas assimilable à la seule "Infrastructure" (les tuyaux, les technologies) mais qu'elle est vraiment un cadre directeur, systémique, visant à assurer le meilleur développement possible de l'Infopolis (au fond, l'entreprise apprenante en constante évolution). 4 - Caractérisation opérationnelle du KM
Dans les pratiques de KM identifiées (anciennes ou récentes, vernaculaires ou formalisées, ) on distingue en général plusieurs processus à l'uvre : - un processus de recueil, collecte de données, informations, règles de connaissance, retours d'expériences et autres rapports d'étonnement ; ce recueil-captation tente d'être organisé, systématisé, finalisé ; il est basé sur une forte mobilisation des acteurs et réseaux d'acteurs ; il fait l'objet de formalisations (écrites, orales) avec consignations documentaires des informations en question selon des formats préalablement définis ou non ;
Au delà de la mise en place des processus précédents, plusieurs ingrédients paraîssent essentiels pour réussir une démarche de KM dans l'entreprise : - une démarche politique, volontariste, managériale qui fait de cette préoccupation un axe stratégique de développement (mais sans pour autant tomber dans un excessif pilotage en "top-down" de ce KM collectif) ; il faut en effet lutter contre l'anarchie, les déperditions de savoir de toutes sortes, les légitimes paresses ou faiblesses, les luttes inter-baronnies, lutter donc contre le développement naturel de l'entropie dans l'entreprise ; 5 - Le KM : échecs, difficultés, blocages et questions sans réponses
Plusieurs types d'échecs apparaissent dans la conduite des programmes de KM développés récemment dans diverses entreprises ou organisations : - mise en place de projets, décidés au niveau du top management sans véritable implication de l'ensemble des parties prenantes et souvent plaqués sur des réalités d'entreprise très différentes de l'esprit KM ; les projets ne survivent pas longtemps (un ou deux ans) après le passage du ou des consultants et les outils mis en place restent de beaux prototypes sans réelles chances de se développer ; la question de la pérennisation des approches KM est bien la plus difficile (et les solutions technologiques ne pallient pas le manque d'implication sérieuse des hommes) ;
Le Knowledge Management n'est pas à l'abri d'illusions qui peuvent orienter l'action dans de mauvaises directions : - vouloir tout accumuler (données, informations, documents, ) en lieu et place d'une démarche plus sélective de recherche du sens : le mythe accumulatoire est puissant (renforcé aujourd'hui par l'extraordinaire développement des mémoires informatiques) ; il conduit à de véritables contre-sens (assimiler la connaissance à un stockage de données, penser la mémoire comme une duplication infinie du réel pour mieux en conserver la trace) ; il renvoie au malaise de l'entreprise face à l'incertitude de son futur et à la perte de sa substance, à une peur de la mort qui conduit paradoxalement à développer de gigantesques cimetières informationnels) ;
Par ailleurs plusieurs freins ou blocages peuvent être identifiés qui rendent difficiles le développement d'un programme collectif de KM dans une organisation : - la trop faible culture informationnelle des acteurs (et notamment des cadres dirigeants et des ingénieurs), surtout à une époque où le développement des TIC et de la société de l'information conduit à des bouleversements importants ; on perçoit mal le sens profond de l'échange et du partage de l'information (progresser grâce à l'altérité) restant trop souvent enfermé dans une logique de détention-rétention de son savoir au nom de la préservation d'un illusoire pouvoir ; dans nombre d'entreprises, les bienfaits des TIC restent superficiels par manque de sensibilisation et de formation des personnels ;
Enfin, le développement du KM ne va pas sans interrogations qui pour le moment restent sans réponses satisfaisantes : - les expériences les plus concluantes en matière de KM sont le fait de très grosses sociétés industrielles (EDF, CEA, Thalès, Renault, ) ou de grands cabinets de consultants (Cap Gemini Ernst & Young, ) : mais peut-on aisément transposer ce qui se pratique dans ces grandes sociétés dans toutes les entreprises et notamment dans les PME-PMI, ou dans les structures administratives ou associatives ? En conclusion, le KM est sûrement un exercice salutaire de remise à plat et de dynamisation de ce qui fait la force d'une société à savoir la mobilisation des connaissances et compétences des hommes qui la composent pour assurer des avancées significatives et pérennes. Il est évident que derrière l'effet mode actuel se cache une réelle préoccupation de préservation du capital de savoir et de savoir-faire. Mais des risques existent de transformation de cette louable intention en une série d'initiatives maladroites, inefficaces, stériles.
Il est indispensable de regarder aujourd'hui le développement du KM avec un il critique, de prendre de la distance par rapport à l'effet mode et aussi par rapport aux outils qui sous-tendent ce développement. Il est indispensable de mobiliser tous les acteurs de l'entreprise sur ces projets, de les motiver, de développer une vraie culture informationnelle qui seule rendra possible une bonne gestion collective de la connaissance. Il est indispensable d'adapter les dispositifs KM aux différents contextes d'entreprises ou d'organisations, d'orienter ceux-ci par rapport à des besoins clairement identifiés et enfin de veiller à bien clarifier les objectifs, enjeux et la ligne directrice de l'action en question. Enfin, le KM n'échappera pas à une réflexion de fond sur le sens à donner à la gestion collective de la connaissance (entreprise apprenante) comme aussi à une clarification des idées relatives aux notions d'information et de connaissance.
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