Thème 3 : Economie de l'information

Texte sur le thème " Economie de l'information " -

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MICHEL, Jean. Le Knowledge Management, entre effet mode et (re)invention de la roue…
Quelques réflexions critiques pour mieux comprendre la nécessité et les caractéristiques d'une gestion collective et pérenne des connaissances dans l'entreprise
in Documentaliste - Sciences de l'Information, 2001, vol.38, n°3-4, pp. 176-186

Disponible sur World Wide Web : http://wwwparis.enpc.fr/~michel-j/publi/JM337.html#1
(consulté le 25/01/2003)

Sujet : " En vous appuyant sur le texte de Jean Michel, vous discuterez ce qui, dans le knowledge management, vous semble transposable au domaine de la formation et de l'enseignement. "

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Plan

1 - Un problème de définition : de quoi parle-t-on ?

2 - Un effet de mode mais une préoccupation ancienne et permanente

3 - Information, documentation, connaissance… vers l'Infopolis

4 - Caractérisation opérationnelle du KM

5 - Le KM : échecs, difficultés, blocages et questions sans réponses

1 - Un problème de définition : de quoi parle-t-on ?

 

Le Knowledge Management ou KM est défini comme "un système d'initiatives, méthodes et outils destinés à créer un flux optimal de connaissances pour le succès de l'entreprise et de ses clients" (Eunika Mercier-Laurent). Cette définition très large, englobante, a le mérite de faire ressortir la nécessité d'un certaine médiation professionnelle et la finalité de l'intervention KM : assurer le succès de l'entreprise par une bonne dynamisation des connaissances dont elle dispose. Mais pour autant est-on clair sur ce que représente concrètement la gestion des connaissances ?

 

D'abord tentons de traduire KM en français, ce qui comme souvent quand on veut passer de l'anglais au français n'est pas évident :

- au premier degré : gestion de la connaissance, gestion des connaissances, management de la connaissance, management des connaissances ;

- mais on parle aussi de capitalisation des connaissances, de mémoire de l'entreprise, de gestion des retours d'expérience, de gestion de l'immatériel, d'entreprise ou organisation apprenante,…

 

Plusieurs caractéristiques ou mots clés peuvent aider à cerner le champ de pratiques du KM :

- une démarche managériale et/ou gestionnaire (volonté, dispositif, mesures, …) opposée à l'idée de laisser les choses se faire au hasard ;

- une finalité : faire mieux (qu'avant ou que les autres), gagner ;

- une approche collective : passer de l'individu gestionnaire de son propre savoir à la mobilisation collective des savoirs individuels pour aller vers un savoir collectif ;

- une inscription dans le temps , dans la durée (mémoire, pérennisation, capitalisation,…) : passer de l'activisme avec ses coups à court terme à une construction réfléchie, assurée d'un futur fondé sur l'exploitation du meilleur (et des échecs) du passé ;

- une ressource capitale à mobiliser, la (les) connaissance(s), soit au bout du compte, les têtes des hommes, leurs savoirs, leurs expériences.

 

Mais le champ opératoire est difficile à cerner du fait de la multiplicité des perspectives à partir desquelles on s'intéresse au KM (en gros, multiplicité des "chapelles" qui veulent s'approprier ce territoire). Ainsi le KM peut être vu :

- à travers les outils, la technologie et par les informaticiens et autres techno-spécialistes : traitement avancé de la gestion de l'information (extraction automatique du sens,…), "tubulures" de partage de l'information dans l'entreprise (réseaux, Intranet, groupware,…) ;

- par les cogniticiens (comment s'élabore la connaissance,…) avec des avancées vers l'intelligence artificielle ;

- par les médiateurs de l'information-documentation (documentalistes, archivistes, Webmasters,…) qui n'ont pas attendu les nouveaux Knowledge-Managers pour s'occuper de gestion collective de connaissances ;

- par les spécialistes des contenus (experts) - ingénieurs, médecins, juristes,…- ou spécialistes de diverses préoccupations &endash; qualité, innovation,…- ;

- par les méthodologues qui inscrivent la gestion de la connaissance dans les diverses pratiques du management par la valeur, du management par projet, de la créativité, du problem solving,… ;

- par les gens de la stratégie et du management ou comment donner du sens à l'entreprise, du sens pour l'action collective, comme aussi de la pérennité… ;

- par les formateurs qui se voient questionnés sur leur propre terrain par les nouvelles initiatives prises en matière de KM.

 

Au final, il faut bien constater que le KM intéresse et préoccupe beaucoup de gens et que son approche est forcément multiple, pluri- ou multi-disciplinaire. Il est donc essentiel d'éviter l'enfermement du KM dans une description trop instrumentale de celui-ci, ce qui conduirait alors à l'émergence de nouvelles sectes et donc à la marginalisation inéluctable des pratiques de Knowledge Management.

 

2 - Un effet de mode mais une préoccupation ancienne et permanente

 

L'effet mode est certain comme il l'a été pour l'IE (intelligence économique) un peu auparavant (mais là, le soufflé semble retomber). On a jamais autant parlé de KM qu'au cours des trois à cinq dernières années (même si les pratiques les plus formalisées et labellisées KM remontent déjà à une dizaine d'années &endash; cf. EDF -) :

- multiplication des conférences, rencontres, séminaires, dans tous les milieux (informaticiens, documentalistes, managers, ingénieurs, formateurs,…) : plus de 10 manifestations aisément identifiables sur Paris en un an sans parler de ce qui se fait aussi ailleurs en France et à l'étranger… ;

- Congrès KM Forum,… ;

- multiplication des articles dans différentes revues professionnelles (Archimag, Documentaliste,…), revues d'associations d'anciens élèves (Ponts, Arts et Métiers, Centrale,…), revues scientifiques (Revue Française de Gestion,…) ;

- création de groupes de travail ad-hoc dans diverses associations professionnelles ;

- séminaires de formation (Rencontres d'Affaires,…) et apparition de premières formations supérieures spécialisées ;

- listes de diffusion électroniques spécialisées (Cybion.fr , Net.KM,…) ;

- développement de logiciels, des prestations de conseils,… ;

- mise en place de fonctions de Knowledge Managers dans les entreprises,…

 

L'accent mis aujourd'hui sur le KM (et l'effet mode qui en résulte) s'explique par plusieurs raisons :

- globalisation et mondialisation qui accélèrent et bousculent les pratiques des entreprises, d'où la nécessité de bien s'ancrer sur du solide, à savoir le capital de connaissances dont on dispose ;

- explosion de l'usage des TIC, technologies de l'information et de la communication (Internet, Intranet, groupware,…) qui rendent possibles de nouveaux modes de gestion collective et de partage des informations et de la connaissance ;

- évolutions dans la gestion des ressources humaines avec la nécessité de prendre en considération le "turn over" accru des compétences, les départs en retraite des experts, la RTT (35 heures),…avec l'impression de plus en plus forte aussi d'une perte ou dilapidation du patrimoine vrai de l'entreprise (le savoir des hommes de l'entreprise) ;

- prise de conscience par les managers de l'importance capitale d'une bonne gestion des savoirs et savoir-faire internes pour assurer le succès et sa pérennité alors que des désillusions commencent à apparaître face à l'emploi de technologies miracles trop souvent mal intégrées.

 

Mais l'effet mode KM peut être l'arbre qui cache une forêt beaucoup plus importante. La gestion collective, partagée, pérenne de la connaissance a toujours été une préoccupation forte des groupes humains, quels qu'ils soient. Sans remonter à l'antiquité (cf. Socrate, Pythagore, Thalès,…), on peut mentionner à titre d'illustrations de nombreuses initiatives majeures du champ des sciences et techniques de l'ingénieur qui montrent que le KM n'est pas une mode mais une impérieuse nécessité et un permanent souci :

- l'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert est à l''évidence une démarche forte de gestion collective des savoirs et savoir-faire au niveau d'un pays entier ;

- à l'Ecole des Ponts et Chaussées, l'usage judicieux de la lithographie dans les années 1820-1830 pour faire partager le savoir des ingénieurs (Collections lithographiques de Bisson, Cours polycopiés de Navier,…) ;

- de même, aux Ponts et aux Mines, tout au long du 19ème si ècle, les efforts faits pour faire établir des rapports de missions par les jeunes ingénieurs et exploiter collectivement ces ressources de veille (intelligence économique et technologique) et de capitalisation (retours d'expériences,…) ;

- la multiplication des revues scientifiques (leur explosion exponentielle) depuis deux siècles est bien le signe d'un souci collectif de gestion-partage de connaissance avec la distinction bien faite (grâce à l'éditorialisation) entre information pure et connaissance structurée, modélisée.

 

Avec encore un peu plus de hauteur de vue, il est possible de débusquer des approches de partage-gestion de connaissances dans des pratiques bien connues telles que:

- le compagnonnage

- le développement des services d'archives d'une part et celui d'autre part des bibliothèques ou centres de documentation spécialisés ;

- le développement tout au long des deux derniers siècles des associations professionnelles et autres sociétés savantes : la lecture de l'objet premier des statuts de ces structures collectives fait vite ressortir leur profonde identité avec un projet collectif de gestion partagée de la connaissance ;

- la normalisation qui est par excellence un modèle de gestion active de la connaissance collective orientée vers l'action ;

- le brevet lui-même comme outil de diffusion contrôlée d'un savoir-faire mérite d'être invoqué en tant que contribuant au KM (lié à la thématique de la valorisation) ;

- des méthodes comme par exemple TRIZ qui se fonde sur l'exploitation judicieuse de centaines de milliers de brevets dans le but d'élaborer des lois ou modèles de connaissances ayant alors un caractère prédictif et heuristique.

 

En somme, rien de bien nouveau sous le soleil. La mode actuelle du KM pourrait au fond être révélatrice de malaises certains au sein des entreprises face au développement non maîtrisé des pratiques informationnelles :

- échec patent (crise aujourd'hui évidente) des approches modernes de gestion de l'information fondées sur l'imposition "top-down" de plates-formes devenant vite de grandes usines à gaz informationnelles, mais on le sait aujourd'hui que "trop d'information tue l'information" - avec en outre des Intranets ou sites Internet qui ne sont plus ou mal alimentés (cimetières informationnels) - ;

- constat d'échec aussi face aux pratiques strictement accumulatrices de millions ou milliards d'informations et de documents (comment retrouver le signal dans le bruit ?) : la multiplication des réservoirs d'information occulte le vrai problème qui est celui de la construction de la connaissance ;

- incapacité de plus en plus évidente à extraire collectivement du sens, à produire et partager de la synthèse, à trouver l'essentiel au sein d'un infernal mouvement brownien informationnel.

 

3 - Information, documentation, connaissance… vers l'Infopolis

 

Le KM se définit assez souvent comme un ensemble de pratiques visant à accélérer, dynamiser le partage des connaissances dans une organisation . Mais avant de cerner ces pratiques, il paraît souhaitable de préciser certains termes tels que : information, documentation, connaissance.

 

L'information… ça s'échange

L'information n'existe pas ou plus exactement elle n'est que le regard de l'homme porté sur le monde à un moment donné avec ses instruments de vision. C'est une perception subjective d'une réalité (y compris dans les domaines scientifiques les plus durs). L'information est surtout une probabilité de différence de vision et donc se fonde sur la nécessité de l'altérité (la confrontation à l'autre). Il est intéressant de souligner qu'elle est pure immatérialité (sens, regard, contenu,…), qu'elle n'est ni saisissable (physiquement et juridiquement parlant), qu'elle est subjectivité sans coût ou pesanteur mais par contre est riche de promesses. Elle n'a d'intérêt que dans son partage (s'exposer au regard de l'autre pour changer). Le principe essentiel est donc que l'information s'échange sinon elle n'a pas de sens (il ne sert à rien de la stocker pour la stocker ou de se la garder dans sa tête sans en exprimer la teneur à d'autres). Mais pour être échangée, partagée, l'information a besoin d'être fixée sur un support (document) qui va devenir vecteur de communication des contenus concernés.

 

La documentation (le document) … ça se gère

C'est la trace matérielle, objective (objectivée) d'une pensée ou action (information), support tangible, localisable, d'une information (article de revue, livre, segment d'espace Web, message électronique, stèle, …). C'est une matérialité (document, support, contenant) avec un principe de localisation (ISBN, rayonnage, URL,…). La documentation est objectivité coûteuse qui nécessite travail et mobilisation de ressources, c'est une médiation nécessaire qui conduit à retenir le principe la documentation, ça se gère (objectifs de rationalisation, de réduction de coût,…).

 

La connaissance… ça se construit

Un pas de plus est franchi avec la connaissance, pensée originale de l'homme, savoir structuré, ensemble d'opérations mentales de modélisation permettant aux hommes de comprendre le monde et d'agir de façon plus sûre sur la base des modèles prédictifs ainsi disponibles. A noter que l'information (regard, perception) n'est pas la connaissance (loi, modèle) et qu'il est abusif de parler de gestion de la connaissance en réduisant celle-ci au développement de bases de données (informations documentées). Selon les thèses constructivistes, la connaissance se construit en permanence, c'est une incessante élaboration (à l'image de ce qu'est le développement de l'homme qui n'est pas la simple accumulation infinie de ses cellules). Mais pour se structurer, la connaissance a besoin de s'exposer aux flux d'informations qui eux mêmes ont besoin d'être documentés. A partir de là, la nouvelle connaissance (loi, modèle) peut être "recyclée", tracée sur un document échangeable, devenir elle-même information et ainsi le triangle I-D-C devient dynamique et fertile (d'où la nécessité d'une approche cohérente, complète mais complexe de la gestion des ressources IDC, ce qui rejoint ce qu'Emmanuel Métais et Bertrand Moingeon appelle le "learning mix").

 

Pourquoi se préoccupe-t-on aujourd'hui d'améliorer les pratiques ancestrales de KM et plus largement d'améliorer la gestion des ressources IDC ? Plusieurs raisons évidentes peuvent être invoquées :

- le souci de cohérence et d'intégration, du fait de la convergence des outils et technologies (compatibilité des solutions techniques, modularité, progressivité, flexibilité,…) ;

- l'indispensable recentrage sur les vrais besoins : souci de l'approche client, adaptabilité des solutions aux contextes, recherche de proximité et développement de services "one-to-one", calage sur les fonctions validées de l'IDC ;

- le souci d'économie : désintermédiarisation, lutte contre les dispositifs à "valeur retranchée", simplification des processus de travail (chaînage des procédures),… ;

- une vision plus globale et stratégique de l'IDC intégrée à un style de management moderne avec implication de l'ensemble des acteurs et développement d'une culture de l'information (vers l'entreprise apprenante).

 

Penser l'Infopolis

A partir de là, il est intéressant de replacer le KM dans une perspective large et moderne de gestion des ressources IDC en s'appuyant sur une analogie avec la gestion de la ville et de son développement, conformément à un modèle baptisé INFOPOLIS. L'ensemble des systèmes, dispositifs, acteurs, processus et fonctions relatifs à l'IDC constitue en effet une ville ou INFOPOLIS dans laquelle le système IDC global est pensé, planifié, géré, vécu comme une ville en développement organique permanent. L'Infopolis se détermine à travers un territoire avec ses limites et sa structuration, une identité et une culture propres, des acteurs (décideurs, citoyens, experts, médiateurs divers), des infrastructures (équipements, réseaux, postes de travail logiciels,…), un centre (carrefour, portail, Intranet,…), des quartiers et des zones d'activité (les informations juridiques, les informations culturelles,…), des signalétiques et des dispositifs de repérage (se retrouver dans l'Infopolis), des règles de fonctionnement et de vie (qui alimentent quoi,… ?), des besoins fonctionnels de diverses natures, des productions, des usages, des pratiques, des vécus. L'Infopolis suppose aussi l'expression collective de visions crédibles d'un futur acceptable et donc la définition et la mise en œuvre d'un schéma cohérent de développement (l'Infostructure).

 

Il est en effet absolument nécessaire de se doter d'une Infostructure pour agir de façon cohérente et efficace(notion d'urbanisme informationnel), cette Infostructure se définissant comme une démarche de management systémique de l'IDC qui vise à mettre en interaction dynamique:

- les thématiques informationnelles à privilégier ;

- les grandes catégories de besoins fonctionnels ;

- les actions stratégiques structurantes de l'entreprise ;

- les processus formalisés de l'institution (métiers, pratiques,…) ;

- les divers groupes d'acteurs et responsabilités (dans la gestion de l'IDC) ;

- les diverses sources et ressources IDC à mobiliser.

Insistons sur le fait que cette Infostructure n'est pas assimilable à la seule "Infrastructure" (les tuyaux, les technologies) mais qu'elle est vraiment un cadre directeur, systémique, visant à assurer le meilleur développement possible de l'Infopolis (au fond, l'entreprise apprenante en constante évolution).

 

4 - Caractérisation opérationnelle du KM

 

Dans les pratiques de KM identifiées (anciennes ou récentes, vernaculaires ou formalisées,…) on distingue en général plusieurs processus à l'œuvre :

- un processus de recueil, collecte de données, informations, règles de connaissance, retours d'expériences et autres rapports d'étonnement ; ce recueil-captation tente d'être organisé, systématisé, finalisé ; il est basé sur une forte mobilisation des acteurs et réseaux d'acteurs ; il fait l'objet de formalisations (écrites, orales) avec consignations documentaires des informations en question selon des formats préalablement définis ou non ;

- un processus de modélisation et d'extraction de sens, de reformulation, d'élaboration de synthèse, de création d'arbres de connaissance ; il s'agit de passer du I (Information) au C (Connaissance), de rechercher et établir des lois ou modèles, de comprendre le sens caché ; cela nécessite le recours à des médiateurs, éditeurs ou facilitateurs comme aussi à des outils plus ou moins automatiques mais surtout aux experts (ou groupes d'experts) eux mêmes du secteur concerné ;

- un processus d'engrangement, capitalisation, conservation qui suppose la création et la tenue à jour de réservoirs d'informations, de documents et de règles de connaissance avec le double souci de pérenniser ce processus et aussi de pouvoir retrouver aisément ce qui a été stocké (d'où l'importance des langages de codage, des thesaurii d'entreprises et bien sûr des outils de recherche,.. ) ;

- un processus de redistribution et de partage avec des réponses soit en mode "push" (messageries électroniques, forums, lettres électroniques) soit en mode "pull" (réservoirs accessibles, sites Internet et Intranet, bases de données en groupware,.. ;) ; il s'agit aussi ici de finaliser la diffusion par rapport à des besoins et d'adapter celle-ci à différents contextes (démarche éditoriale spécifique qui va bien au delà de la simple mise à disposition des données stockés dans les réservoirs) ;

- enfin, un processus de dynamisation-régulation de l'ensemble des processus précédents avec le souci d'évaluer, de produire du feed-back, d'assurer l'auto-développement pérenne des dispositifs de gestion de connaissances.

 

Au delà de la mise en place des processus précédents, plusieurs ingrédients paraîssent essentiels pour réussir une démarche de KM dans l'entreprise :

- une démarche politique, volontariste, managériale qui fait de cette préoccupation un axe stratégique de développement (mais sans pour autant tomber dans un excessif pilotage en "top-down" de ce KM collectif) ; il faut en effet lutter contre l'anarchie, les déperditions de savoir de toutes sortes, les légitimes paresses ou faiblesses, les luttes inter-baronnies, lutter donc contre le développement naturel de l'entropie dans l'entreprise ;

- un champ opératoire bien délimité (périmètre, surface) avec une définition claire des champs de "contenu" pour lesquels on s'efforce de capitaliser et structurer les savoirs ; le risque est grand en effet de s'épuiser à vouloir tout conserver, tout dupliquer ; il est donc indispensable de disposer d'une claire définition de l'Infostructure à partir de laquelle doivent se développer les pratiques de KM ;

- la mobilisation réelle et efficace de tous les acteurs, l'implication des hommes (experts ou non) et des réseaux ; la connaissance étant une construction permanente spécifique, il ne peut y avoir de gestion de connaissance qui ne mette pas l'homme au cœur du projet ;

- un usage résolu, incitatif mais toujours pertinent des technologies de l'information et de la communication (TIC) pour accélérer les transferts et optimiser les "constructions" de savoir ; il convient de prendre garde toutefois de ne pas mettre la charrue avant les bœufs, à savoir la technologie avant les hommes ;

- un travail important sur les langages de l'entreprise, sur les terminologies sachant que les connaissances passent forcément par des mots qui doivent décrire des réalités que tout le monde reconnaît dans l'organisation et sachant aussi que le bon usage des TIC passe encore par le recours à des modélisations linguistiques (ou graphiques), langages de représentation dont on ne peut pas faire l'économie;

- une vision, une culture, des valeurs qui permettront que soit bien intégrée l'idée d'un effort ou investissement collectif sur ce terrain au delà des traditionnelles démarches activistes à court terme et de la perpétuation des cloisonnements et autres replis sur soi forcément stériles.

 

5 - Le KM : échecs, difficultés, blocages et questions sans réponses

 

Plusieurs types d'échecs apparaissent dans la conduite des programmes de KM développés récemment dans diverses entreprises ou organisations :

- mise en place de projets, décidés au niveau du top management sans véritable implication de l'ensemble des parties prenantes et souvent plaqués sur des réalités d'entreprise très différentes de l'esprit KM ; les projets ne survivent pas longtemps (un ou deux ans) après le passage du ou des consultants et les outils mis en place restent de beaux prototypes sans réelles chances de se développer ; la question de la pérennisation des approches KM est bien la plus difficile (et les solutions technologiques ne pallient pas le manque d'implication sérieuse des hommes) ;

- développement de projets KM qui ignorent les dispositifs existants déjà en place : archives, centres de documentation, équipes de normalisation, groupes qualité, propriété industrielle ou valorisation,… ; les nouveaux Knowledge Managers (tendance "In") ignorent ce qui a été fait avant eux dans l'entreprise par ces unités souvent peu ou mal considérées par les managers (parce que postes de coût sans être sources de profit);

- installation d'outils remarquables (plates-formes Intranet ou de groupware), très bien conçus, mais qui au bout de quelques temps ne sont plus du tout alimentés parceque les responsabilités pour assurer la maintenance des outils ne sont pas définies et que le plus difficile reste la pérennisation de démarches exigeantes, non rentables à court terme ;

- mise en place de plates-formes techniquement réussies mais qui passent à côté du problème essentiel qui est de satisfaire les besoins des différents acteurs en informations et connaissances de l'entreprise ; on juxtapose des amoncellements de données alors qu'il faudrait d'abord penser l'Infostructure orientée vers les besoins à satisfaire ;

- développement, à l'instar de ce qui s'est fait pour la gestion de la qualité, d'un formalisme excessif, stérile, coûteux avec une préoccupation très gestionnaire d'établissement de processus cadrés et traçables de recueil et diffusion des informations ; plusieurs auteurs ayant écrit récemment sur le KM insistent sur la nécessité de laisser place aussi à des approches foisonnantes, informelles, déstructurations ;

- enfin nombre de solutions KM développées avec l'aide de grands cabinets de consultants (qui tous ne mettent pas en place chez eux les solutions qu'ils préconisent) se terminent la plupart du temps par la création de banales bases de données documentaires qui n'ont plus grand chose à voir avec une gestion plus ambitieuse des connaissances.

 

Le Knowledge Management n'est pas à l'abri d'illusions qui peuvent orienter l'action dans de mauvaises directions :

- vouloir tout accumuler (données, informations, documents,…) en lieu et place d'une démarche plus sélective de recherche du sens : le mythe accumulatoire est puissant (renforcé aujourd'hui par l'extraordinaire développement des mémoires informatiques) ; il conduit à de véritables contre-sens (assimiler la connaissance à un stockage de données, penser la mémoire comme une duplication infinie du réel pour mieux en conserver la trace) ; il renvoie au malaise de l'entreprise face à l'incertitude de son futur et à la perte de sa substance, à une peur de la mort qui conduit paradoxalement à développer de gigantesques cimetières informationnels) ;

- vouloir constituer un vaste et unique réservoir de données, informations, documents habilement et abusivement intitulé base de connaissances et qui n'est en fait qu'une nouvelle "Samaritaine" où l'on est censé tout (re)trouver ; il est évident que les TIC rendent possible la création de tels bazars informationnels et leur exploitation par des agents intelligents de recherche, mais est-on sûr de bien satisfaire par là les besoins diversifiés, complexes, d'accès à des connaissances pertinentes ?

- penser à l'inverse que tout réside dans la circulation généralisée et accélérée des informations selon des logiques de croisement systématique et/ou spontané des données (hyper document hypermédia, hyper connaissance,…) et de confrontation permanente des points de vue et en recourant de façon intensive à la messagerie électronique, aux forums et autres listes de discussion électroniques ; si la fugacité, la spontanéité et l'interactivité peuvent être de réels accélérateurs de transfert de connaissances, on sait aussi aujourd'hui que le maintien de leur effet sur la longue distance n'est pas évident (il faut beaucoup de persévérance pour assurer le bon fonctionnement à long terme d'un forum spécialisé de discussion…) ;

- rêver d'un système automatique de prise de décision qui à partir d'un questionnement et d'une consultation d'une base de connaissances orientée "action" définirait de façon certaine les bons choix à faire ; ce mythe technocratique de la machine à décider n'a rien à voir avec ce que l'on met aujourd'hui derrière le concept d'entreprise apprenante.

 

Par ailleurs plusieurs freins ou blocages peuvent être identifiés qui rendent difficiles le développement d'un programme collectif de KM dans une organisation :

- la trop faible culture informationnelle des acteurs (et notamment des cadres dirigeants et des ingénieurs), surtout à une époque où le développement des TIC et de la société de l'information conduit à des bouleversements importants ; on perçoit mal le sens profond de l'échange et du partage de l'information (progresser grâce à l'altérité) restant trop souvent enfermé dans une logique de détention-rétention de son savoir au nom de la préservation d'un illusoire pouvoir ; dans nombre d'entreprises, les bienfaits des TIC restent superficiels par manque de sensibilisation et de formation des personnels ;

- les approches "top-down , technocratiques, imposées par des directions générales qui souhaitent garder le contrôle de l'information qui circule au sein des entreprises et bien "rapatrier" sur l'entreprise le savoir et le savoir-faire de ses personnels (au delà de la pure location de la force de travail &endash; 35 heures -) ;

- les positions protectrices des baronnies qui n'acceptent de donner que si tout le monde donne et que si l'on préserve leur territoire ; nombre d'Intranets récemment créés dans les entreprises sont des échecs patents (au regard de leur finalité de partage et de transversalité) parcequ'ils ne peuvent pas aller plus loin que la stricte juxtaposition formelle des (re)présentations des baronnies ;

- la difficulté à motiver les acteurs à partager leur savoir ; comment rémunérer l'apport en information et en connaissance, comment valoriser les personnes qui jouent le jeu du KM ? Comment aussi, dans un contexte dur de défense d'intérêts et de recherche systématique de profit à court terme, faire accepter l'idée de la nécessité d'un investissement collectif a priori faiblement rentable et qui sera toujours perçu comme une perte de temps et d'énergie ?

- la complexité même du système des connaissances de l'entreprise avec une multiplicité infinie d'acteurs, avec une décentralisation inévitable &endash; au niveau des divers terrains &endash; des responsabilités sur la gestion des informations et connaissances pertinentes, avec des territoires éclatés et des enjeux forcément différents ; comment assurer une cohérence globale (sans tomber dans une centralisation excessive) alors que tout va dans le sens d'un éparpillement des initiatives ?

 

Enfin, le développement du KM ne va pas sans interrogations qui pour le moment restent sans réponses satisfaisantes :

- les expériences les plus concluantes en matière de KM sont le fait de très grosses sociétés industrielles (EDF, CEA, Thalès, Renault, …) ou de grands cabinets de consultants (Cap Gemini Ernst & Young,…) : mais peut-on aisément transposer ce qui se pratique dans ces grandes sociétés dans toutes les entreprises et notamment dans les PME-PMI, ou dans les structures administratives ou associatives ?

- le KM est fondé sur la captation des savoirs et savoir-faire des individus salariés des sociétés en vue alors à l'individu et quelle part à l'entreprise dans cette gestion de la connaissance ? En matière de brevet et de propriété industrielle, cette question a donné lieu à établissement de règles du jeu visant à préserver un certain équilibre entre les parties prenantes : comment va-t-on traiter cette question de l'équilibre des droits de l'individu et de l'entreprise lors du développement des pratiques de KM ?

- l'idéal d'un KM réussi et d'un partage efficace, opérationnel de la connaissance serait de parvenir à la transversalité des savoirs, à un réel décloisonnement des pratiques, à l'apparition de synergies interdisciplinaires ou intersectorielles pour pouvoir innover et s'adapter à des complexités nouvelles ; or la plupart des dispositifs mis en place (avec des Intranets orientés connaissance) restent fondamentalement des juxtapositions de "cheminées" disciplinaires verticales, chacun dans son métier, dans sa discipline produit et met à disposition de l'information, mais cela ne conduit pas à un vrai partage de connaissance interdisciplinaire : comment réussir dans l'avenir le croisement, l'hybridation des savoirs ?

- les réalisations de KM sont la plupart du temps développées soit à l'initiative de la direction générale, soit d'une direction informatique (ou systèmes d'information), soit par une direction technique donnée, mais rarement les directions ressources humaines et les directions ou services de formation ne sont impliquées dans ce nouveau processus de gestion collective de la connaissance ; il y a là un paradoxe et il serait urgent de s'interroger sur le lien qui peut et doit exister entre une démarche de KM et une politique de développement des ressources humaines ;

- enfin comment le KM s'articulera-t-il par rapport à tout ce qui existe au sein de l'entreprise en matière de documentation, de propriété industrielle, de valorisation, de normalisation, de formation, … avec de nombreux services qui d'une façon ou d'une autre contribuent déjà à une gestion collective de connaissances ; le KM (et le Knowledge Manager) ne risque-t-il pas d'apparaître comme une nouvelle couche artificiellement plaquée sur un réel déjà bien encombré mais sans doute insuffisamment exploité ?

En conclusion, le KM est sûrement un exercice salutaire de remise à plat et de dynamisation de ce qui fait la force d'une société à savoir la mobilisation des connaissances et compétences des hommes qui la composent pour assurer des avancées significatives et pérennes. Il est évident que derrière l'effet mode actuel se cache une réelle préoccupation de préservation du capital de savoir et de savoir-faire. Mais des risques existent de transformation de cette louable intention en une série d'initiatives maladroites, inefficaces, stériles.

 

Il est indispensable de regarder aujourd'hui le développement du KM avec un œil critique, de prendre de la distance par rapport à l'effet mode et aussi par rapport aux outils qui sous-tendent ce développement. Il est indispensable de mobiliser tous les acteurs de l'entreprise sur ces projets, de les motiver, de développer une vraie culture informationnelle qui seule rendra possible une bonne gestion collective de la connaissance. Il est indispensable d'adapter les dispositifs KM aux différents contextes d'entreprises ou d'organisations, d'orienter ceux-ci par rapport à des besoins clairement identifiés et enfin de veiller à bien clarifier les objectifs, enjeux et la ligne directrice de l'action en question. Enfin, le KM n'échappera pas à une réflexion de fond sur le sens à donner à la gestion collective de la connaissance (entreprise apprenante) comme aussi à une clarification des idées relatives aux notions d'information et de connaissance.